L’ABIDJANAISE
Recherches et réflexions sur l’Hymne national
En Souvenir de Mgr Pierre Marie COTY et… Mathieu ÉKRA
Qui sert son pays n’a pas besoin d’aïeux.
Voltaire
N’a-t-on jamais lu L’Abidjanaise ? Certes tous l’ont entendue. Et parmi nous, nombreux
peuvent aisément en fredonner l’air, voire en répéter fidèlement les mots. Mais, au fond et en vérité,
combien connaissent vraiment le sens de ses hautes paroles, pour les avoir correctement médités ?
Il nous souvient, aucun de nos après-midis scolaires d’instruction civique à l’Externat Saint-Paul
du Plateau (Abidjan) ne fit jamais de L’Abidjanaise l’objet d’une étude de texte, pas même latérale.
Or, même s’il est indéniable que, au stricte plan littéraire, sa métrique instable
1
- qui semble indiquer
que nous soyons en présence de deux auteurs -, tout comme son style linéaire et la pauvreté de ses
rimes
2
ne font pas de l’hymne un texte distinctif ou un chef d’œuvre, en revanche, L’Abidjanaise
demeure remarquable par la force politique de ses idées, sa belle envolée idéologique, la fraîcheur
éthique de son enthousiasme fraternel, le ton déclaratif de ses affirmations et surtout par son
extraordinaire et inégalée dessein programmatique.
Mais alors, pourquoi jusqu’ici ne la pense-t-on pas ? En effet, s’est-il une seule fois trouvé
ou rencontré un enseignant qui l’ait approfondie et discutée avec ses élèves ou ses étudiants ? N’a-
t-elle jamais été proposée comme sujet de dissertation ? L’université est muette. Et à ce jour, autant
que nous le sachions, elle n’a encore produit aucune thèse doctorale qui l’approfondisse ! Quel
leader politique a seulement estimé utile d’en faire la glose ? Même le Magistère n’y a pas vu l’écho
partiellement laïcisé des Évangiles, ou du moins ne souhaite-t-elle tout simplement pas l’afficher.
Et nous continuons en vain de chercher le nom d’un quotidien qui l’ait expliquée, pas même
Fraternité Matin qui lui doit pourtant son nom, parce que L’Abidjanaise est à la fois le Matin d’un
(nouvel) État et la Fraternité d’une nation à venir. Aucun ouvrage n’a jusqu’ici jugé utile de
l’interpréter, mis à part celui de Maurice Bandama, préfacé par Barthélémy Kotchy, mais dont la
lecture n’est malheureusement que littérale. L’auteur « officiel » de L’Abidjanaise lui-même ne reste-
t-il pas fort discret, un peu comme si le texte lui imposait silence ? Pourquoi donc ? Est-ce parce
que les paroles ont deux auteurs, dont la paternité littéraire et la propriété intellectuelle n’ont été
attribuées qu’à l’un d’entre eux ? C’est ici aux deux que nous dédions cette large méditation, avec
toutefois une attention spéciale à Mgr Pierre Marie Coty qui en est l’auteur, quand Mathieu Ékra en
est l’acteur, selon la subtile distinction établie par Hannah Arendt dans l’étude et l’interprétation
d’une œuvre.
Bref, même la littéralité de L’Abidjanaise, mais également sa portée, sa signification et son
sens continuent de se dérober à l’explication.
S’agissant précisément du sens de L’Abidjanaise, il n’y a pas si longtemps, devant les militants
de son parti dorigine, mais sans aller plus avant dans l’explication, Laurent Gbagbo dira : il nous
faut donner un sens à notre hymne national
3
. Mais, n’est-il pas étrange que cet appel n’ait pas été suivi de
réponse méditée ? Au fond, que signifie ici donner un sens, si ce n’est d’abord reconnaître un sens,
autrement dit accepter qu’il y ait un sens toujours déjà- ; un sens qui, de facto, préexiste au fait même
de donner ? Tout don psuppose son objet, l’objet donné. Car, ne peut effectivement être don que
ce qui déjà existe et est destiné à cet usage. Ainsi, donner un sens à quelque chose, à un texte, à un
chant patriotique - qui est la définition de tout hymne national
4
-, veut d’abord et surtout dire en
partager le sens, plus exactement en faire don. En somme, donner du sens, signifie en propre, pour qui
veut penser authentiquement, faire-don du sens. Convenons ici de ce don, afin d’en mettre au jour
le sens.
1
Le nombre de pieds n’est pas identique, selon que l’on soit au début ou à la fin du texte. D’une manière générale, il
va s’amplifiant avec la progression du texte.
2
Les rimes ne sont pas riches.
3
Laurent Gbagbo, cité dans l’article La rébellion m’a rendu service de Thibault R. Gbéi, L’Intelligent d’Abidjan, 12 mars
2005.
4
P. F. Tavares, Ivoirité et Fraternité universelle, in Sur la Crise ivoirienne, Considérations éparses, Nouvelles Éditions Ivoiriennes,
Abidjan, février 2005, p. p. 143 - 155.
I.
L’Abidjanaise
: pain quotidien et partage
Cela, en vérité, a déjà eu lieu ailleurs, hors du champ ouvert de la pensée, mais sans jamais
que les Ivoiriens eux-mêmes ne s’en soient aperçus de manière claire et distincte. Ce ‘’faire don du
sens’’ de L’Abidjanaise a depuis longtemps opéré dans un autre espace sémiologique, de façon
spontanée et quasi inconsciente. En effet, plus d’un parmi nous en garde mémoire, une boulangerie
réputée avait convenu, attitude étonnante, de faire de L’Abidjanaise comme le ‘’pain quotidien’’ des
Ivoiriens, en particulier des citadins de la capitale politique d’alors. On s’en souviendra, pour les
plus âgés d’entre nous, elle est située, depuis l’origine, en Zone 4, au carrefour de la rue Chevalier
de Clieu et de la rue Clément Ader. Souvent, depuis Paris, nous revoyons encore intacte l’enseigne
lumineuse, parfois éclairée même de jour. Souvenir ! Mais dans le fait que le titre de l’hymne
national ivoirien soit devenu celui de la raison sociale d’une fabrique de pain, ne faut-il pas y voir
comme une invitation au partage pascal, une grande fête quotidienne des azymes ? L’Abidjanaise,
un pain de proposition ? Et si cette boulangerie avait visé juste ? Et si elle avait sponte sue atteint à
quelque chose d’essentiel que ne dit pas explicitement l’hymne ? Puisque nulle part dans le texte
n’apparaît l’idée de pain ni la notion de partage, qui plus est pascal. Partager, cest rompre et faire don
en visant une alliance. Le fournier ne semble-t-il pas dire plus que les prétentions du texte ? Et si,
mieux que quiconque et surtout plus rapidement que les penseurs, il avait d’emblée saisi et
compris la signification profonde et originaire de L’Abidjanaise ? Partage, don et alliance ! En tout
état de cause, le fait d’emprunter le titre de l’hymne national pour en faire sa raison sociale
d’entreprise, est rare, et peut être même est-il unique, pour ne pas être souligné ici.
Jusqu’ici, L’Abidjanaise est restée un texte obscur, cest-à-dire à la fois ‘’privé de lumière’’ et
‘’difficile à comprendre’’, et ce non pas uniquement aux Ivoiriens eux-mêmes, mais aussi bien aux
constitutionalistes, au cercle des hommes et femmes de lettres, aux politologues et autres mandarins
réputés spécialistes de la Côte dIvoire. Mais une telle obscurité persistante a une double raison. La
première tient à la manière coutumière de penser la politique largement dominée par les Sciences
politiques, qui, au fond, n’accordent que bien peu d’importance voire pas du tout aux hymnes
nationaux. La deuxième raison de cette obscurité réside dans la clarté aveuglante du texte qui s’est
imposée aux Ivoiriens, comme une suite de paroles immédiatement audibles (compréhensibles) et
un haut chant instantanément compréhensible. Ainsi, parce que les Sciences politiques n’étudient
pas les hymnes nationaux, la clarté interne de L’Abidjanaise, c’est-à-dire ici son obscurité, n’a jamais
fait l’objet d’une explication, d’une mise en clarté ou bénéficié de jets de lumière. Et cela est d’autant
plus regrettable que certains aspects principaux de la Crise ivoirienne et l’instabilité permanente des
Institutions qui en est résultée depuis, aurait reçu un instructif et pertinent éclairage sans lequel il
ne saurait y avoir de solutions viables. Mais il n’est pas tard, puisqu’il s’agit de donner du sens à [cet]
hymne national. En faisant ainsi de L’Abidjanaise un point d’appui solide pour méditer la Crise, que
nous inscrivons-nous dans le cours le plus intérieur de l’histoire ivoirienne, à l’aube même de son
surgissement.
Sous ce rapport, dans le texte intitulé Ivoirité et Fraternité Universelle
5
, nous avions mis au jour
trois faits majeurs. D’abord, nous y montrons en quoi et comment, d’une façon générale, les
hymnes nationaux sont bien plus stables que les Constitutions, et résistent mieux aux changements
politiques. Ensuite, mieux que les Constitutions, les hymnes nationaux représentent l’esprit d’un
peuple, pour reprendre ici l’idée de Herder magnifiée en figure par Hegel. Enfin, que L’Abidjanaise
reste bien l’un des écrits majeurs de la période qui s’étend du siècle des Lumières à nos jours.
II.
L’Abidjanaise
et ses trois paradigmes
5
P. F. Tavares, Ibid.
Mais marquons autrement l’intérêt politique et littéraire de L’Abidjanaise, en soulignant
clairement son importance et en resituant sa pertinence politique par la formulation de trois
paradigmes :
- Premièrement : de toute la jeune littérature ivoirienne, quoique le plus court, L’Abidjanaise reste le texte le
plus riche et le plus dense ;
- Deuxièmement : L’Abidjanaise constitue l’impensé de toute la littérature ivoirienne ;
- Troisièmement : L’Abidjanaise tisse fort habilement une totalité éthique et politique qui font d’elle
l’un des tissus majeurs des 20ème et 21ème siècles.
Avec la formulation de ces trois paradigmes, L’Abidjanaise entre en littérature. Il est pour
ainsi dire réveillé et se montre. De la sorte, elle est à présent devant nous
6
, posée pour être
commentée avec l’intention affichée d’être méditée. Penser, c’est commencer par récuser le par cœur,
en allant au-delà. Évidemment, L’Abidjanaise a été apprise par cœur. Mais le par ur est à la fois
affaire de mémoire fidèle et de sentiment, et il ne requiert pas la raison et l’intelligence qui sont les
bases solides de toute compréhension. C’est pourquoi, nous ne procéderons pas ici à l’exercice
habile d’un commentaire détaillé, ni à son étude ordonnée. Encore que ce double exercice doive
être su, c’est-à-dire supposée avoir été faite. Mais nous voulons, par une exégèse rapide, en dégager
l’intérêt philosophique et politique, relativement à la double problématique qui nous préoccupe. La
première consiste en une question : en quoi L’Abidjanaise institue-t-elle un syllogisme entre
immigration et droit des gens ? La deuxième interroge ceci : y a-t-il un lien entre L’Abidjanaise et les
armoiries de la République ivoirienne ?
Creusons la première question. Elle présuppose, de fait, et admet donc limmigration et le
droit des gens comme des réalités déduites, autrement dit des produits logiques. Et une telle manière
syllogistique de voir porte à conséquences. Tirons-en une, dans le champ des réalités empirico-
historiques. En effet, ce qui est ici affirmé veut dire ceci : si justes soient-elles sur le plan historique,
ce que nous ne lui contestons pas, l’historique, la théorie et la doctrine du peuplement primitif de
la Côte dIvoire, tels qu’exposés par l’éminent professeur Barthélemy Kotchy
7
dans sa préface à
l’ouvrage de Maurice Bandama, ne sont pas fondés en raison. Car, se placer sur ce terrain empirique
ou historique, conduit à faire de L’Abidjanaise, d’une part, l’idéologie du peuplement primitif, à
partir des proto Akan, des proto Krou et des proto Sénoufo, et, d’autre part, rien d’autre qu’une
vague idéologie et une vision généreuse de l’hospitalité. Au reste, c’est bien ainsi que M.
Bandama interprète L’Abidjanaise
8
. Or l’hymne national ivoirien est tout sauf une idéologie
9
, une
générosité, encore moins est-il l’habillage a posteriori de cette matrice et de ce processus de
peuplement. Elle est d’abord et fondamentalement une idée inédite et, dans le même temps, le
triple socle logique de la doctrine mariale du Salut, de la vertu théologale de l’espérance et de la
coutume humaniste de l’hospitalité. Le professeur B. Kotchy et M. Bandama n’ont pas perçu les
deux premières dimensions, sans lesquelles, évidemment, la dernière ne se laisse pas véritablement
comprendre.
Certes avant l’hymne, il y a toujours eu des mouvements continus de population vers ce
qui, quelques millénaires plus tard, s’appellera la Côte d’Ivoire, pour les motifs rappelés, notamment
6
Le lecteur trouvera à la fin de cet article, le texte de L’Abidjanaise et celui intégral de La Marseillaise, l’hymne national
français.
7
Barthélemy Kotchy, in Maurice Bandama, Côte d’Ivoire, Chronique d’une guerre annoncée, Oeuvre publiée avec le concours
du quotidien 24 Heures, Abidjan, mars 2004, p. 5 - 22.
8
Maurice Bandama, Salut ô terre d’espérance, in Op. Cit., p. p. 229 - 232.
9
Idéologie : inversion de la réalité.
celle de terre refuge de la sous-région
10
en proie aux vives tensions politiques et/ou aux constantes
pressions démographiques. Certes Philippe Antoine et Claude Herry, démographes, ont indiqué le
taux élevé d’étrangers dans la population abidjanaise
11
depuis 1934, qui n’a jamais été inférieure à
40 % et a atteint le niveau record de 51 %.
Mais même en tenant compte de lattractivité économique ivoirienne, avec son corollaire
l’immigration, il n’en demeure pas moins vrai qu’entre l’hospitalité et le refuge
12
, il n’y a ni continuité
ni discontinuité. L’un et l’autre phénomène ne se situent nullement sur le même plan et sont de
nature fort différente. Le refuge est un mouvement vers… un endroit ou un lieu, et ne suppose pas
nécessairement d’accueil. Cest une fuite vers…, tandis que lhospitalité est tout à fait autre chose.
Elle est d’abord un accueil et relève d’une coutume ou d’une tradition. Dans L’Iliade et L’Odyssée,
par exemple, Homère insiste beaucoup sur sa place et sa fonction sociale dans la culture grecque
de son temps. De même, dans l’Ancien Testament, avant la destruction de Sodome
13
, Lot n’eut la
vie sauve que parce qu’il pratiquât les règles de l’hospitalité (accueil, hébergement et protection), à
l’arrivée des deux étrangers, en réalité des anges. On sait combien dans les Saintes Écritures, la
veuve, l’orphelin et l’étranger font l’objet de soins d’hospitalité. En effet, l’hospitalité
14
est un protocole
d’accueil de l’Autre, qui peut être le voisin ou l’étranger, l’indigent, le connu ou l’inconnu, un être
‘’en’’ danger. Elle relève de mœurs publiques et, au point de vue de la coutume, s’apparente à un
dispositif de réception ou d’accueil. Elle est du temps social organisé. Le refuge, lui, est un espace désigné
comme abri ou qui s’offre en tant que tel. Le Refuge est un lieu où l’on se retire pour échapper à un
danger ou à un désagrément, un endroit pour mettre sa vie en sûreté, dans un abri, un asile ou une
retraite. D’où les expressions ‘’chercher refuge’’, ‘’demander refuge à…’’. Les Grecs et les Juifs
anciens avaient des lieux réservés et préservés à cet effet. Un Réfugié est une personne qui a été
dans l’obligation de fuir les lieux qu’il habite, pour échapper à l’imminence d’un grave danger, une
catastrophe naturelle, une persécution d’ordre politique ou religieux, une guerre, la famine.
Sous ce rapport, le refuge est tel un hôpital mais non pas de l’hospitalité, comme le chante
un célèbre morceau Zouglou. La double parenté étymologique et sémantique entre hospitalité et
hôpital
15
ne doit nullement induire en erreur. Par exemple, le droit d’asile concerne les réfugiés et
non l’hospitalité. Se réfugier, c’est émigrer, s’enfuir, s’expatrier, se sauver, etc. Par ailleurs, celui à
qui l’hospitalité est offerte n’est pas forcément un réfugié. Et tout réfugié ne recherche pas
forcément l’hospitalité, mais parfois vise à autre chose. Par exemple, un pays peut ne pas être une
terre d’hospitalité mais un espace de refuge pour opposants politiques. Dans L’Abidjanaise, à moins
de commettre un lourd contresens, la Côte d’Ivoire n’est nullement présentée comme un refuge.
Bien évidemment, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réfugiés en te d’Ivoire, mais tout
simplement, fait exceptionnel, que l’hospitalité est devenue un pays qui fonde en droit et selon la
raison universelle, c’est-à-dire à partir de l’unité du genre humain, l’accueil de tout étranger ou
même de tout autochtone. En Côte d’ivoire, un ivoirien bénéficie lui-même de l’hospitalité. Traduit
10
B. Kotchy, in Op. Cit., p. 16 - 18.
11
Philippe Antoine et Claude Herry, La population d’Abidjan dans ses murs, dynamique urbaine et évolution des structures
démographiques entre 1955 et 1978, Cahiers O.R.S.T.O.M, série Sciences Humaines, volume XIX, Paris 1983, p. p. 371
395.
12
Refuge : lieu lon se retire pour échapper à un danger ou à un désagrément, pour se mettre en sûreté (abri, asile,
retraite). Chercher refuge. Demander refuge à…, fugié : qui a fuir les lieux qu’elle habite pour échapper à un
danger (guerres, persécution politiques ou religieuses. Droit d’asile. Se réfugier : émigrer, s’enfuir, s’expatrier, se sauver.
13
Genèse, 19, 1-25.
14
Hospitalité : charité qui consiste à recueillir, à loger et à nourrir gratuitement les indigents, les voyageurs dans un
établissement (public ou privé) prévu à cet effet (hospice). 2/ droit réciproque de trouver logement et protection les
uns chez les autres. 3/ libéraliqu’on exerce en recevant quelqu’un sous son toit, en le logeant gratuitement. - Par
extension : action de recevoir chez soi, d’accueillir avec bonne grâce.
15
Hôpital : Hospice : (1690) hospitium. maison les Religieux donnent l’hospitalité aux pèlerins, aux voyageurs.
Établissement destiné à recevoir et à entretenir des orphelins, vieillards, infirmes, enfants abandonnés, malades
incurables. Asile.
en termes de protection sociale ou d’acquis sociaux, cela signifie, par exemple, que chaque ivoirien
a droit à la Couverture Maladie Universelle. Alors, l’État organise de fait cette hospitalité comme
dispositif public, en élevant au rang de la Chose publique une coutume. Pour autant, l’ivoirien n’est
pas un réfugié. Il ne peut être réfugié dans son propre pays. Nul n’est jamais réfug chez soi !
Évidemment, cela ne signifie pas que tout étranger doive obligatoirement être accepté, que les
frontières doivent être toujours ouvertes. Et que l’on nous entende bien, le programme social et
politique
16
du Front Populaire Ivoirien, quoique tant décrié, n’est que l’actualisation historique la
plus avancée et la plus audacieuse de la doctrine de l’hospitalité glorifiée par L’Abidjanaise. Sur ce
plan, comment ne pas remarquer que le Président Laurent Gbagbo est dans le sillage politique du
Président Félix Houphouët-Boigny ? En élevant de la sorte et à un niveau inégalé de protection
sociale la Côte d’Ivoire, il accroît sa force d’attraction sous-régionale. L’immigration est appelée à
continuer voire à se velopper en Côte dIvoire. Or, ce grand destin est clairement donné dans
L’Abidjanaise. En vérité, l’hospitalité est le programme social de l’État ivoirien, que chaque
gouvernement en place actualise selon son projet.
En tout état de cause, comment ne pas souligner, comme un fait de grande curiosité, que
L’Abidjanaise semble procéder à la reprise d’une antique tradition grecque, celle qui établit un lien
direct entre l’hospitalité d’une Ciet sa prospérité. Ainsi, dans Les Suppliantes, lorsque les Danaïdes
cherchent et trouvent refuge à Argos et demandent l’hospitalité aux Argiens qui la leur accordent,
Zeus Hospitalier renforce la Cité accueillante, selon le dire exacte du Chœur :
Qu’ainsi prospère la cité dans le respect de Zeus puissant,
de Zeus hospitalier surtout, dont la loi chenue règle le destin
17
Dans les précieuses explications qu’il donne de ce passage des Suppliantes, Paul Mazon,
précise en le rappelant, que le prytanée est en quelque sorte le sanctuaire de Zeus Hospitalier, puisque c’est
que l’État reçoit ses hôtes. Or la prospérité d’une ville dépend de Zeus Hospitalier, qui, de toute antiquité, ne l’accorde
qu’à celles qui pratiquent le respect des hôtes
18
.
Au fond, L’Abidjanaise dit-elle autre chose, lorsqu’elle parle de l’hospitalité en tant que pays ?
Ainsi, la Côte d’Ivoire devient-elle le prytanée et Abidjan, comme le saint des saints. D’où sa dimension
quasi universelle et laïco-religieuse. Au demeurant, l’Hymne national ivoirien s’intitule non pas la
‘’Côtivoirienne’’ mais à juste titre L’Abidjanaise. Et la formidable prospérité de la te d’Ivoire et le
remarquable essor de la ville d’Abidjan
19
ne démentent pas cette conception grecque. L’Abidjanaise
puise manifestement une de ses sources d’inspiration dans la tradition de Zeus Hospitalier. En
vérité, seul l’Argentine, mais dans Constitution, notamment en son article 20, cest-à-dire non dans
son Hymne national, accorde une telle place à l’hospitalité
20
. En effet, l’article 20 dispose : Les
étrangers jouissent sur le territoire de tous les droits civils du citoyen ; ils peuvent exercer leur industrie, commerce et
profession ; posséder des biens immeubles, les acquérir et les aliéner […] ; exercer librement leur culte ; tester, se
marier conformément aux lois. Ils ne sont pas obligés d’acquérir la citoyenneté, ni de payer des contributions forcées
extraordinaires. Ils obtiennent la naturalisation moyennant une résidence de deux ans continus sur le territoire de la
16
Gratuité de l’école publique, Couverture sociale générale, décentralisation, municipalisation, etc.
17
Eschyle, Les Suppliantes, in Tragédies, Gallimard, Paris, 1921 et 1925, p. 83. Un autre passage « à qui respecte le
suppliant ira la prospérité », p. 71.
18
Paul Mazon, in Les Suppliantes, note 1 de la page 83, p. 426. En cas de refus d’hospitalité, Zeus Suppliant punissait la
Cité, en frappant, par Arès, les enfants (famille), les moissons (agriculture) et les troupeaux (élevage), voir note 2, p.
425.
19
Pour un aperçu général de cet essor, lire P. F. Tavares, le Plan Communautaire de Collecte, de Nettoiement et de Propreté du
District d’Abidjan.
20
Yann Moulier-Boutang, Le véritable socle économique de l’inhospitalité : le salariat bridé. Cet article qui participe au débat
sur l’immigration en France est en ligne depuis le 24 juin 2004.
nation ; mais l’autorité peut abréger ce délai en faveur de ceux qui le sollicitent, s’ils allèguent et prouvent des services
rendus à la République
21
.
L’ensemble des considérations précédentes signale que nous nous situons résolument à
l’intérieur même de L’Abidjanaise et que, depuis cette posture délibérée, nous interrogeons les
réalités en question.
Nous disons vouloir « réveiller » L’Abidjanaise, et pour cause. En propre, réveiller signifie tirer
du sommeil, ranimer ce qui dort. Par exemple, nous-même nous réveillons, pour autant que nous nous
mettons en état de veille. Ici et maintenant, la Crise ivoirienne non seulement nous réveille mais
également réveille L’Abidjanaise. Sans et hors cette Crise, nous ne la méditerions sans doute pas. En
Île Maurice, aux heures de fêtes, on dit ’faire sonner les pétards’’. Faisons sonner L’Abidjanaise. Plus
exactement faisons-là résonner, autrement dit sonner de nouveau. Et non pas instrumentalement
mais par ses paroles. C’est que la Crise, avec ses canons, ses morts et ses spoliations diverses est tel
un ‘’réveille-matin’’ qui résonne et nous interpelle, en nous éveillant intimement à L’Abidjanaise
dont nous voulons précisément ranimer deux structures endormies, pour reprendre l’expression chère
aux écoles structuralistes. La première structure endormie ou forme dormante
22
dans L’Abidjanaise est
la thématique de l’Immigration. La deuxième est la doctrine du Droit des gens.
III.
L’Abidjanaise
et le formulé des vertus théologales
La première structure inconsciente pointe et culmine dès le deuxième vers de L’Abidjanaise.
Elle se compose de huit (8) pieds qui, par un effet d’enjambement poétique, prolonge et achève le
premier vers désignant la Côte d’Ivoire comme la terre d’une des trois vertus théologales des
Évangiles : l’espérance. Cette vertu sera reprise, réaffirmée, magnifiée et étendue au genre humain
dans l’antépénultième vers
23
. Le deuxième vers de L’Abidjanaise, quant à lui, consacre et fixe, de
manière quasi irréversible, la politique ivoirienne de l’immigration : pays de l’hospitalité. Plus encore.
Lorsque, suivant les recommandations de Théodore Adorno, cofondateur de l’École de Francfort,
nous procédons à une lecture associative, et que nous rapportons ainsi le deuxième vers au premier, il
se produit une vraie figure de style littéraire, un chiasme, et la terre de l’espérance se transforme pour
devenir le pays de l’hospitalité. La terre, à savoir le sol entendu comme patrie, devient le (un) pays ; et
l’espérance se convertit, elle, en (une) l’hospitalité.
Que la terre devienne ainsi le pays, indique tout d’abord que la Côte d’Ivoire acquiert un
nouveau statut, qu’elle sort en effet du registre colonial et entre, de la sorte, dans l’amorce de sa
propre histoire. L’indépendance est ce mouvement de passage, de transformation juridique de la
terre en pays se dotant d’institutions publiques.
Que l’espérance se mue ainsi en hospitalité n’indique pas que le processus de laïcisation de
l’espérance, mais aussi et surtout la formation de l’État qui entre en possession de ce pays. Jusqu’ici,
la distribution entre ces quatre notions-clés (terre, pays, espérance, hospitalité) n’a fait l’objet d’aucune
attention particulière. Or, une telle distribution est centrale et de nature ontologique. Cette tétrade
forme et constitue le titre même de l’État ivoirien, ce par quoi il se distingue de tous les autres.
C’est pourquoi, et nous le verrons, L’Abidjanaise formulera la critique la plus radicale jamais faite
de la Fraternité telle qu’envisagée avant elle, y compris par le siècle des Lumières et la surviolence
(nécessaire) de La Marseillaise.
21
Sur cette question lire les commentaires de Yann Moulier-Boutang.
22
Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, Épiméthée, PUF, Paris, 1959, p. 94.
23
« En forgeant tous unis dans la foi nouvelle / La patrie de la vraie fraternité ».
Mais en réalité, cette tétrade qui régule et oriente l’hymne tout entier n’a pas en lui-même
son fondement. Il est déterminé et se fonde sur le mot, la notion et l’idée de Salut qui, rappelons-
le, ouvre l’hymne. « Salut », écrit avec une majuscule, - et le fait n’est en rien anodin -, est en effet
le premier vocable de L’Abidjanaise. Toutefois, ce mot n’est pas seulement premier au sens de
l’ordre dapparition chronologique des vocables qui composent le texte. Il est premier, comme
mot-premier, parce qu’il est à la fois primordial et marque la primité de cette notion, en tant qu’elle
organise toute la suite et tout le corps du texte. Le « Salut » en est la notion cardinale. Il est l’alpha,
tandis que la notion de « fraternité », ultime mot du texte, en est l’oméga. Sous ce rapport,
L’Abidjanaise est le chemin chan qui part (point de départ) du Salut pour parvenir à (point
d’arrivée) la fraternité. L’un et l’autre forment un cercle, une ligne de pensées que le premier,
d’inspiration chrétienne, ouvre, et que le second, originairement christique mais d’esprit humaniste
et laïc, ferme. Cependant, si le mot « fraternité »’ est en apparence d’une approche plus aisée, parce
que rebattue, il en va tout autrement de la notion de « Salut » qui, jamais, n’a attiré sur lui une
quelconque attention. Alors, pour nous qui avons décide méditer ce que signifie en propre ce
« Salut » introductif de L’Abidjanaise, posons la question : qu’introduit-il, cest-à-dire qu’annonce-t-
il et vers quoi en vérité conduit-il ?
Pour répondre de façon correcte à cette question, procédons à l’éclaircissement lexical de
l’idée et de la notion de « Salut ». Le mot apparaît au Xème siècle et provient du latin salus, utis qui,
originairement, signifie santé. Par extension linguistique, il viendra à désigner l’action de souhaiter bonne
santé et prospérité. Primitivement donc, « Salut » est la formulation d’un vœu de santé et de prospérité,
une des formes et une marque de la haute civilité. Si nous ramenons à présent les deux premiers
vers de L’Abidjanaise au « Salut » originaire, à leur mot-premier, ils revêtent aussitôt une signification
authentique et leur évidence se montre. « Salut ô terre d’espérance, pays de l’hospitalité » formule un
souhait de santé et de prospérité à la terre d’espérance définit comme pays de l’hospitalité. Mais le dire,
c’est-à-dire reprendre l’étymologie et la réalité à laquelle elle renvoie, n’épuise pas encore le sens du
« Salut » de L’Abidjanaise. Pour ce faire, nous devons aller et penser au-delà, en commençant par
écarter le sens profane du « salut », celui que l’on retrouve dans les us et coutumes, ainsi que dans
les usages ordinaires, quotidiens ou symboliques. Par exemple, en matière de civisme, on parle de
salut au drapeau, par lequel le citoyen reconnaît et rend hommage aux institutions. De même, certains
manifestants brûlent-ils le drapeau d’un pays pour marquer leur rejet. Un autre exemple. Le « salut »
est aussi un acte de civilité (respect) à une personne. Mais le « salut » évoque également le fait
d’échapper à la mort. On dit d’un individu qu’il a cherché (et peut-être trouvé) son « salut » dans la
fuite. Il s’agit du réfugié. Hobbes a érigé cette attitude en droit imprescriptible. C’est dans le même
sens que sont utilisées les expressions « planche de salut » (comme moyen) ou encore « ancre de
salut » (dernière chance). Mais L’Abidjanaise ne semble pas recourir à l’idée de « salut » selon ces
différentes significations profanes. L’Abidjanaise nous parle de « Salut », avec une majuscule et non
pas seulement parce qu’il s’agirait du premier mot d’une phrase, selon ce qu’impose les règles de
l’écriture, mais dans le sens de mot-premier qui renverrait ici à une autre dimension, qu’il nous faut
saisir.
Considérons la notion de « Salut », selon sa signification sacrée. Deux acceptions existent.
La première, elle, se retrouve dans les religions judéo-chrétienne et bouddhique, et nous renvoie à
l’idée connue de félicité éternelle
24
. Ainsi parle-t-on de « salut de l’âme » ou encore des « voies du
salut ». En revanche, la seconde acception est propre au Catholicisme, en particulier à la mariologie.
Qu’est-ce que la Mariologie ? Elle est la partie de la théologie catholique qui étudie et couronne la
Vierge Marie, « Mère de Dieu ». Parmi les hauts faits de biographie, une prière et une visitation la
consacrent : L’Angelus ! Il s’agit bien évidemment de la célèbre Ave Maria
25
, avec son éclatant
24
Le fait d’être sauvé de l’état de péché. C’est le rachat ou la rédemption.
25
L’Ave Maria d’origine ne comptait que la double salutation de Gabriel : « Réjouis-toi, pleine de grâce / Le Seigneur
est avec toi », Luc, 1 - 28, et dÉlisabeth : « Bénies es-tu entre les femmes / Et béni le fruit de ton sein », Luc, 1 - 42.
premier vers Je vous salue Marie, pleine de grâce…, et de ce que l’on appelle la Salutation angélique, à
savoir le « salut » de l’ange Gabriel à la Vierge, au cours de laquelle lui est annoncé sa maternité
future comme moment de l’Incarnation du Verbe, de la venue du Fils de Dieu, du Salut qui se fait
lui-même chair, et, du « salut » d’Élisabeth à sa cousine Marie, qui lui rendait alors visite. Au fond,
c’est le Verbe qui est appelé « Salut ». Nous écartons ici l’épisode byzantin du rameau sec de Joseph
choisit parmi les douze.
Cette prière et cette visitation donnent la clé d’interprétation du premier mot, qui est le mot-
premier, de L’Abidjanaise. En effet, sans l’une et l’autre, aucune exégèse de ce texte n’est possible.
Autrement dit, le fameux « Salut » de L’Abidjanaise, d’une part, relève de cette partie de la théologie
chrétienne appelée Mariologie, et, d’autre part, institue une prière mariale à l’attention de la Côte
d’Ivoire, et annonce, dans le même temps, comme une visitation angélique de ce pays. L’expression
répétée « Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire », et qui - depuis l’éclatement de la Crise - scande et termine
tous les discours religieux et politiques du régime en place, trouve sa source première dans
L’Abidjanaise inspirée de L’Ave Maria.
L’Abidjanaise, en effet, n’est pas conçue sur le modèle du Credo Notre Père qui est aux
Cieux… »), mais sur le modèle et le mode de L’Ave Maria. Autrement dit, la formule introductive
de l’hymne, « Salut ô terre d’espérance », est au fond une re-formulation, une duplication du fameux
premier hexamètre de L’Ave Maria, « Je vous salue Marie… ». Ce faisant, la te d’Ivoire est comparée
et assimilée à la Vierge Marie, celle qui, précisément, porte l’Espérance comme l’annonce lui a été
faite lors de la visitation de l’ange Gabriel et du « salut » d’Élisabeth. Tout ce qui est dit ici cesse
d’être vaine spéculation, pure fadaise ou une simple vue de l’esprit, dès lors que l’on sait que le Père
Jean-Marie Coty est en vérité, avec Mathieu Ékra, co-auteur de L’Abidjanaise, même si l’histoire
« officielle » a fait oublier ce fait historique. Il est certes co-auteur mais aussi et surtout semble être
l’inspirateur direct et le rédacteur certain de toute la partie mariologique de L’Abidjanaise.
Au reste, parmi les hymnes nationaux africains, il n’y a pas que L’Abidjanaise qui ait été
écrite par des prélats. Les hymnes nationaux du Bénin, de la Haute-Volta et du Congo Kinshasa
l’ont été également.
En résumé, pour comprendre de manière authentique le « Salut » de L’Abidjanaise, nous
devons certes revenir à son étymologie (salus, utis : « bonne santé et prospérité ») mais surtout
remonter à son sens sacré (l’Angélus et L’Ave Maria). Car, sa signification profane, civique ou
symbolique, n’ajoute presque rien à sa compréhension. Elle peut même complètement fourvoyer.
Dans l’hymne ivoirien, le « Salut » introductif ne se laisse pas réduire à un échange de signes de
reconnaissance, ni non plus à un ensemble de gestes que l’on fait pour saluer, par exemple, le salut
militaire, le salut fasciste, le salut au drapeau, etc. Il ne s’agit pas non plus d’un acte de courtoisie
ou de politesse. En outre, l’hymne national ivoirien n’a rien de salutiste, car il ne s’adresse pas à des
indigents ni ne relève de la propagande religieuse.
Le « Salut » de L’Abidjanaise s’inscrit dans l’horizon de la théologie catholique. Il puise dans
l’Angélus et L’Ave Maria. Il est salvifique.
Après avoir jeté de la lumière sur l’idée et la notion de « Salut », nous pouvons risquer une
interprétation nouvelle des deux premiers vers de l’hymne ivoirien.
Le « Salut » est un appel ou un souhait de santé à la terre qui devient un pays - naissance de
l’État - l’espérance (vertu) est élevée en hospitalité. Par analogie, nous pouvons dire que cette terre
est mariale, elle est la telle la Vierge qui doit porter l’espérance, et qui ne devient pays, c’est-dire
« pleine » (enceinte), que parce qu’elle est fécondée par « le divin terrestre », l’autre nom que Hegel
donne à l’État. Ainsi, les deux premiers vers de L’Abidjanaise introduits par le « Salut » exposent-
ils, en fait, la doctrine politique du nouvel État qui puise au cœur même des Évangiles. Il est, par
exemple, instructif de préciser que, depuis les événements du 19 septembre 2002, plus d’un attestent,
et parmi ceux-ci des éminents, que la Femme en bleue, c’est-à-dire la Vierge Marie, protège le pays et
l’État.
En fait, de part en part, l’hymne est comme traversé par la Bonne nouvelle, une inébranlable
« espérance » définie comme « la foi nouvelle » proclamée dans l’avant dernier vers. En outre,
comment ne pas noter ici la présence éclairante d’autres notions chrétiennes, celle de « paix », de
promesse, « de lespérance promise » et de « vaillance », « de tes légions remplies de vaillance », si
typiques des Évangiles, et qui, toutes, se condensent et culminent dans les derniers vers de l’hymne
en lui conférant ainsi un caractère quasi messianique. Cela, il ne faut pas être grand clerc pour
l’admettre.
Remarquons, par ailleurs, que les cinq (5) derniers vers de l’hymne national infléchissent la
tonalité théologique et indiquent un effort théorique de laïcisation, puisqu’ils recentrent l’hymne,
de façon décisive, autour des trois familles d’idées. Dans la première, articulée autour de l’idée de
nation ou d’unité, se retrouvent les notions de « patrie », d’« unité » - tous unis -
26
, de « vraie
fraternité » et d’« humanité », c’est-à-dire de genre humain. Dans la deuxième, autour de l’idée de
labeur (travail), avec les idées de forge - « te forgeront » : atelier -, d’« artisans », de bâtisseurs - « te
bâtiront » -. Dans la troisième, autour de l’idée de démocratie, avec les notions de « liberté » et de
« bonheur », autant de notions propres à la symbolique et à l’idéologie franc-maçonniques et au
discours républicain. En outre, dans la même veine, signalons que toute l’éthique (morale publique)
affichée et affirmée dans l’hymne - et conforme à cette laïcisation - demeure de facture et d’allure
kantienne, puisqu’elle s’appuie sur les idées centrales de « devoir » et de « modèle » mais également
de « dignité » et de « fierté ». En effet, parce que les Ivoiriens ont ramené la liberté, par la paix, dit
l’hymne, ils ont le devoir d’être un modèle pour faire de leur pays une patrie, celle précisément de la vraie
fraternité.
Il sautera aux yeux du lecteur averti que ces trois familles d’idées, unité, travail et liberté,
entretiennent une parenté et une proximité sémiologiques réelles avec les trois notions constitutives
de la devise républicaine ivoirienne : Union, Discipline, Travail, avec cette différence (apparente) que
la liberté y devient discipline, c’est-à-dire liberté encadrée. Ainsi, L’Abidjanaise ne coïnciderait pas
totalement avec la devise de la République. Mais qu’en apparence seulement. Car à bien y voir, dans
l’hymne, la notion de Discipline a pour équivalences les idées de devoir et de modèle. C’est au reste
l’une des significations du mot discipline qui peut signifier ‘’règle de conduite commune à une
collectivité et destinée à y faire régner le bon ordre’’.
IV.
L’Abidjanaise
et
La Marseillaise
: les différences
Récemment, un philosophe ivoirien […] s’est distingué en montrant comment et combien
il n’avait pas tout à fait compris L’Abidjanaise. Dans un article, il réduit la portée de l’idée de « vraie
fraternité », en la ramenant à une sorte de pacte social entre tribus ivoiriennes
27
. Une lecture de l’hymne
national même au premier degré suffit pour s’apercevoir du contraire. L’Abidjanaise, et peut-être
est-ce ‘’sa’’ folie historique, concerne non pas uniquement la Côte d’Ivoire mais aussi l’humanité. Le
texte, à le lire, est au vrai on ne peut plus explicite.
26
Dans le sixième vers est exprimée l’idée de rassemblement : « tous rassemblés ».
27
Boa Thiémélé, Du malpropre à l’ivoirité, Le Courrier d’Abidjan, février 2005.
En outre objecte-t-il, opposer comme nous l’avons fait La Marseillaise et L’Abidjanaise, c’est
être dans l’ornière de la France
28
. Un tel jugement est une déduction facile et précaire, car la prémisse
ne conduit pas de façon logique ou claire à la conclusion. Réfutons ce jugement. Ornière, en effet,
signifie trace, sillage ou orbite. Mais alors, en quoi établir ici une opposition entre ces deux textes
serait être dans l’orbite ou le sillage de l’Hexagone ? Plus étonnant, c’est l’inverse de ce jugement
qui devrait être la conclusion. Même l’âpre théorie des contraires ne saurait autoriser ce genre
d’énoncés. En tout état de cause, non pas sur tout, mais sur de nombreux points, les deux hymnes
s’opposent. L’Abidjanaise est un écrit court, onze (11) vers, La Marseillaise un texte long, quarante-
huit (48) vers, en plus des quatre vers du refrain. Certes, les deux naissent à des moments de
souveraineté populaire, mais lun est fort violent (Révolution de 89) et l’autre très pacifique
(Indépendance convenue). Au reste, ne l’oublions pas, La Marseillaise est un chant de guerre, celle
de l’enthousiaste Armée du Rhin, tandis que L’Abidjanaise est une ode à la paix et à la fraternité,
rédigé pour des civils. L’un parle de l’hospitalité, en fait même une vertu cardinale, et en appelle au
genre humain, l’autre en appelle à l’hostilité armée et au combat juste. L’hymne français loue les
guerres civile et étrangère, l’hymne ivoirien invoque la paix civile et les rapports de fraternité entre
les nationaux et avec l’étranger. Les deux textes majeurs ont des racines différentes et puisent dans
des sols dont la composition diffère. En effet, comment ne pas remarquer les sources grecques de
La Marseillaise ? Car qui connaît quelque peu les classiques, ne peut pas manquer de rapprocher
l’Hymne national français d’une célèbre pièce d’Eschyle, Les Perses, notamment du passage les
Grecs entonnent un péan solennel lors de la bataille destinale de Salamine : Allez, enfants des Grecs,
délivrez la patrie, délivrez vos enfants et vos femmes […] et le tombeau de vos aïeux : c’est la lutte suprême
29
.
Certes L’Abidjanaise et la Marseillaise ont bien des points communs, notamment leurs racines
grecques. Cependant l’une et l’autre puisent à deux sources grecques différentes voire contraires.
Tant de points opposés ne peuvent relever du simple hasard. Les rédacteurs de L’Abidjanaise
pouvaient-ils ignorer La Marseillaise ? Il y a une intentionnalité manifeste. L’un parle de la terre,
de l’amour et de l’espérance, l’autre vante la patrie, le conflit et la mort. Est-il besoin de poursuivre
les oppositions ? Et enfin, qui pourrait reprocher à un français, nous, d’être dans l’ornière de la
France ? Mais au juste, de quelle France parle notre philosophe ? Il ne le dit pas. Car il lui est difficile
de définir la France. Alors, disons ici la nôtre. Notre France est celle que chante Ferrat. La France qui
est nôtre est celle de Camille Desmoulins, et non pas celle de Barnave. Notre France sera toujours celle
de Félicité Sonthonax, mais jamais celle de Rochambeau. Notre France, lors de l’expédition d’Égypte,
était celle de Kléber et non de Bonaparte. Notre France n’est pas celle du Général Poncet mais celle
du Général Morillon. Et elle sera éternellement celle de l’abbé Grégoire, qui verra toujours dans les
peuples qui se dégagent des tutelles, fut-ce celle de la France, une extension de ce que le controversé
Anarchasis Cloots
30
appelait la République Universelle, qui fête la Fraternité entre les peuples. Tout
comme La Côte d’Ivoire qui est nôtre - celle que nous aimons tant - est celle que célèbre L’Abidjanaise.
En effet, Notre Côte d’ivoire n’est pas celle de l’odieuse ivoirité ni non plus, vous l’aurez compris, celle
de la pernicieuse contre-ivoirité
31
. Notre te d’Ivoire est celle où le nationel
32
prime sur le national sans
exclure cette dernière.
Laissons-là les idées plates à leur platitude, et payons notre dîme de la dîme à la Philosophie,
en revenant à l’essentiel, c’est-à-dire à L’Abidjanaise et selon la problématique du peuplement en
Côte d’Ivoire, après 1945. Or, sous ce rapport, il se dégage de l’hymne national une idée-force, celle
28
Boa Thiémélé, Idem.
29
Eschyle, Les Perses, in Tragédies, p. 122.
30
Anacharsis Cloots ne s’opposait cependant pas au commerce colonial.
31
Nous empruntons cette notion à notre poète préféré, Hölderlin, et l’exposons par le tail dans nos Lettres (sur la
France) à Marie-Adeline.
32
Sur cette notion, lire Lettre à Marie-Adeline sur le « nationel ».
qui justement ne définit plus l’hospitalité en tant que disposition culturelle à la sociabilité d’accueil,
mais la re-définit comme politique publique, dans la mesure où le nouvel État déclare construire
son pays, en fonction d’une exigence éthique de peuplement conforme à l’idéal humaniste de
fraternité universelle qui anticipe l’exceptionnel essor des forces productives agricoles, à la veille de
la seconde Guerre mondiale.
Il nous faut donc penser l’idée qui se tient concentrée dans la locution : le pays de l’hospitalité.
En vérité, L’Abidjanaise apprise par ur est si connue et rebattue que nous devons la réécouter,
en lui prêtant sincèrement notre oreille. Le texte, en effet, ne dit pas ‘’pays d’hospitalité’’, mais « pays
de l’hospitalité ». Et la nuance est importante. Pour la méditer, amenons au jour une double question :
qu’est-ce qu’un pays et que devons-nous entendre par l’hospitalité ?
Dans notre Avant-propos de l’ouvrage Sur la Crise ivoirienne, Considérations éparses
33
, nous
présentions la Côte d’Ivoire de 1948, comme un pays au double sens de paysage et de géographie. Elle
n’était pas encore un État. En ce sens, la notion de pays
34
précise un espace plus ou moins nettement
délimité et considéré uniquement dans son aspect physique. Selon cette acception, le Rwanda, par
exemple, sera présenté comme le pays des mille collines. La géographie (relief) donne sa dimension au
territoire. Mais, dans L’Abidjanaise, le mot pays est pris dans une tout autre signification. Il n’a plus
rien de géographique. Tout y est éthique et le mot veut y dire pays au sens de ’pays de quelque chose’’,
étant entendu que ce ‘’quelque choseest ici l’hospitali. En cela même, la notion de pays est synonyme
des expressions terre d’élection [de l’hospitalité], milieu particulièrement favorable à [l’hospitalité], quelque
chose riche en [hospitalité], quelque chose ou matière qui, en l’occurrence, est donc l’hospitalité. Et ce
‘’quelque chose’’ - ce « je ne sais quoi ou presque rien » dirait Jankélévitch - est pourtant si
déterminant et structurant qu’il devient l’un des traits dominants, l’une des grandes caractéristiques
de ce pays. Pour mieux saisir lesprit de ce qui est dit ici, nous devons renvoyer vers l’expression
célèbre qui, dans une opposition de traits, définit la différence de type culturelle entre la France et
l’Allemagne en ces termes : la France est le pays du vin, l’Allemagne le pays de la musique. Ou encore à la
belle formule de Lamartine selon laquelle la vérité est mon pays. Dans et pour L’Abidjanaise, la Côte
d’Ivoire est « le pays de l’hospitalité », comme la France est le pays du vin, [et] l’Allemagne le pays de la
musique ou la vérité celui de Lamartine. Mieux, à l’instar et dans le sillage éthique de l’homme de
génie français qui, dans un mémorable texte poétique a défendu la lutte émancipatrice de Toussaint
Louverture, L’Abidjanaise ne cesse de dire aux Ivoiriens et à l’humanité : l’hospitalité est mon pays. Et
ce point de pensée est capital, pour qui veut entendre L’Abidjanaise.
Mais si à présent nous récapitulons et synthétisons les deux acceptions précédentes du mot
pays - géographique et éthique -, nous parvenons à une troisième signification qui nous rapproche
et nous livre le sens authentique de la locution pays de l’hospitalité. Celle-ci présente et projette en
effet la Côte d’Ivoire comme un territoire peuplé par une collectivité nationale qui s’érige à partir
de l’hospitalité. Bien évidemment, l’hospitalité ne saurait ni ne devrait être confondue ici avec la
disparition ou avec l’ouverture des frontières à tous, ni non plus à un ventre mou. Sinon, cela
voudrait dire qu’il n’y a pas dÉtat, de politique publique ou de politique intérieure, c’est-à-dire tout
simplement de souveraineté. Tout au contraire ici, la souveraineté elle-même se marque du sceau
de l’hospitalité qui la distingue de toutes les autres souverainetés, celle de la France tout d’abord et
celle des États voisins ensuite. Elle est, comme disent les linguistes, un « critère discret ». L’hospitalité
est orientation et instrument du nouvel État, et détermine toutes ses dispositions d’alors en matière
de peuplement et de politique de l’immigration. Il saute aux yeux que cette conception va bien au-
delà des besoins en main-d’œuvre du Syndicat Agricole Africain, puisqu’elle précise les grandes
33
P. F. Tavares, Op. Cit., p. 11.
34
Pays : 14ème, païs, 10ème, bas latin ; page[n]sis : habitant d’un pagus, d’un bourg, d’un canton. Par extension, le pagus lui-
même.
lignes d’un nouveau « droit des gens », c’est-à-dire des relations entre peuples ivoirien et étranger,
et des liens entre le nouvel État ivoirien et les peuples voisins et lointains.
Au reste, et comment ne pas en être frappé, L’Abidjanaise n’évoque nulle part et à aucun
moment de rapports avec d’autres États ni ne mentionne de relations intergouvernementales. Dans
ce haut chant patriotique, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, aussi étrange que cela retentisse,
il n’y a pas de relations internationales entre États mais l’annonce d’un « droit des gens », c’est-à-
dire un rapport entre peuples.
Au total, l’hospitalité diffère de l’idée de refuge et demeure en même temps une spécificité
emblématique qui annonce le lien du nouvel État avec le genre humain. Telle est donc « le modèle
de l’espérance promise à l’humanité », comme le dit le vers 11 de l’hymne, et qui doit faire de la
Côte d’Ivoire le spécimen et le parangon de toute collectivité humaine.
Aussi, garder-nous de réduire, de confondre l’hospitalité propre à L’Abidjanaise à ses trois
définitions les plus courantes. Tout d’abord, comme ‘’action de recevoir et d’héberger quelqu’un chez soi,
par charité, libéralité, amitié’’. Ensuite, en tant que ‘’bienveillance, cordialité dans la manière d’accueillir et de
traiter ses hôtes’’. Enfin, comme ‘’l’asile accordé à quelqu’un, à un groupe par un pays’’. C’est, par exemple,
ce que fait, à partir de sa vision du Droit
35
, le professeur Barthélemy Kotchy, lorsque, dans sa
préface au livre de Maurice Bandama, il rappelle en quoi et pourquoi cela qui s’appelle la Côte
d’Ivoire a depuis toujours été un « pays » - au sens géographique du terme - de refuge pour les
individus ou les peuples en détresse
36
. Au fond, dans la conception du professeur B. Kotchy,
conception qu’il nous faut respecter au plus haut point, la Côte d’Ivoire devient un ‘’pays de refuge’’
un peu comme les ‘’villes de refuge’’
37
que Yahvé Sabaot demanda à Moïse détablir au-delà du
Jourdain, et où les auteurs de crimes involontaires pouvaient trouver refuge et abri provisoires vis-
à-vis de leurs poursuivants, et ce jusqu’au cycle du pardon.
L’Abidjanaise, elle, affirme seulement que l’hospitalité est le modèle et le moule ivoiriens de
l’intégration, le cadre républicain de lintégration à l’ivoirienne. Le lecteur comprendra beaucoup
mieux ici les raisons principales pour lesquelles nous nous sommes si fortement élevés contre les
étrangers atteints du syndrome du « lionceau » dont parlent les tragiques grecs et qui, après avoir
bénéficié de l’hospitalité, se rebiffent contre elle et la Côte d’Ivoire. En vérité, L’Abidjanaise stipule
que l’hospitalité est le devoir de l’État ivoirien ; devoir qui suppose et implique des devoirs
38
aux
étrangers accueillis en Côte d’Ivoire. En tout état de cause, l’hospitalité affichée par L’Abidjanaise
s’inspire des recommandations du vitique : Si un étranger vient habiter dans votre pays, vous ne
l’opprimerez pas. Vous traiterez l’étranger qui est au milieu de vous en homme du pays. Tu l’aimeras comme toi-
même.
39
La Marseillaise, elle, à aucun moment n’oblige l’étranger à des devoirs, puisqu’il ne lui
reconnaît pas de droits. Le haut chant patriotique français développe une hostilité affirmée vis-à-vis
de l’ennemi intérieur (Coblence et les Immigrés français) et de létranger
40
(royautés, ennemis
intérieurs) et déclare et souhaite même qu’« un sang impur abreuve nos sillons ».
35
Dans Deuxième République et Première Académie, Barthélemy est présenté comme l’homme du Droit, in Sur la Crise
ivoirienne, Considérations éparses. Il était un ami qui m’a été présenté par son alter ego, le professeur Christophe Wondji.
Mémel Foté, Christophe Wondji et lui formaient un remarquable trio d’intellectuels africains presque inégalé.
36
B. Kotchy, Op. Cit., p.
37
Deutéronome 19, 1 - 21. David au refuge, Samuel, 5, 17.
38
L’une des plus lourdes erreurs des Accords de Linas-Marcoussis est de préciser les droits des étrangers sans devoirs.
Lire P. F. Tavares, Op. Cit., p. 11.
39
Lévitique, 20, 33 - 34.
40
« Que veut cette horde d’esclaves / De traîtres, de rois conjurés ? » 3ème strophe ; « Quoi ! ces cohortes étrangères / Feraient la loi dans
nos foyers ! Quoi ! ces phalanges mercenaires / Terrasseraient nos fiers guerriers ! » 4ème strophe ; « Mais ces despotes sanguinaires, /
Mais ces complices de Bouillé, / Tous ces tigres qui, sans pitié, / Déchirent le sein de leur mère ! » 6ème strophe ; « Que tes ennemis
expirants / Voient ton triomphe et notre gloire ! » 7ème strophe.
Après avoir commenté quelques mots-clés de L’Abidjanaise, exégèse au cours de laquelle il
nous a été donné de saisir l’osmose avec le triptyque de la devise de la République, interrogeons à
présent l’hymne afin de savoir s’il entretient un rapport, et de quel ordre, avec les armoiries
ivoiriennes ?
V.
L’Abidjanaise
et les armoiries de la République : l’éléphant, les palmiers et le drapeau
À cet égard, et autant que nous le sachions, commençons par préciser que la Côte d’Ivoire
est l’un des deux pays au monde dont le nom officiel
41
est directement tiré de l’éléphant, et plus
exactement de ses défenses d’ivoire. L’autre pays est le Laos, mot composé à partir des morphèmes
lan (un million) et xang (éléphants). Laos signifie étymologiquement le pays au ‘’un million d’éléphants’’.
Nous le rappelions dans l’ouvrage précédent, Sur la Crise ivoirienne, l’éléphant est le symbole
de l’État et de la République. Et ce fait est unique au monde, pour ne pas être ici souligné. Certes
maintes régions, de nombreuses provinces et villes de différents pays
42
ont blasonné l’éléphant.
Cependant, seul l’État ivoirien et sa République ont choisi l’éléphant comme animal emblème. Certes
en Europe occidentale, au Royaume Uni notamment, plusieurs écus de villes ont un éléphant. En
France
43
, on sait que l’éléphant avait été proposé à Napoléon Bonaparte, qui lui préféra l’aigle
comme emblème. En Extrême-Orient, en Thaïlande et en Inde surtout, l’éléphant est très présent
dans les armoiries. En Afrique noire, dans six pays, des blasons comptent un ou deux éléphants.
En effet, deux pays d’Afrique centrale, le Gabon et le Congo Kinshasa ont des villes et des régions
blasonnées à l’éléphant. De même, en Afrique australe des villes, provinces ou régions de trois pays,
la Namibie, l’Afrique du sud et le Zimbabwe. Mais, fait unique et exceptionnel, en Afrique de
l’ouest, ce choix ne concerne qu’un seul pays, la Côte d’Ivoire. Et fait hautement significatif, l’État
ivoirien se désigne lui-même comme l’Éléphant d’Afrique. À prêter l’oreille, l’expression dit beaucoup
plus que lidée précédente selon laquelle l’éléphant est l’emblème national ivoirien. Car, de façon
déclarative, elle fait de l’éléphant ivoirien l’éléphant d’Afrique par excellence, c’est-à-dire non
seulement le plus repsentatif de tous les éléphants d’Afrique mais aussi l’animal emblématique de
l’Afrique elle-même. En effet, dans cette locution, la transcendance africaine de l’éléphant ivoirien
est affirmée, et elle indique très clairement l’une des caractéristiques essentielles de l’État ivoirien,
à savoir son extension au-delà de ses frontières naturelles ou celles héritées de la colonisation,
comme le décline et le proclame au demeurant L’Abidjanaise.
Nous le disions, la Côte d’Ivoire est le seul État qui ait fixé l’éléphant dans les armoiries de
sa République. Ces armoiries se composent de trois symboles. Seul, au centre dun écusson vert, se
présentant de profil, un éléphant couleur ivoire, et d’âge r, sans corps, l’œil vif et l’oreille large,
porte une défense robuste qui croise sa trompe recourbée. Au-dessus, un soleil levant à neufs
rayons d’or, amorce et découvre laube prometteuse, avec toutes les Hypothèses du jour
44
. Sur les deux
côtés, gauche et droit, tels deux colonnes, deux palmiers verticaux et gris avec leurs feuillages
encadrent la tête du pachyderme. Et le tout repose, avec grande délicatesse, sur un long et léger
ruban à trois plissures sur lequel est inscrit République de Côte d’Ivoire. Comment donc interpréter
tous ces signes, dans l’horizon de L’Abidjanaise ? Nous ne le pouvons effectivement qu’en ayant
recours à L’Héraldique
45
ou science des armoiries.
41
Éburnie est l’autre nom donné au pays.
42
Dans dix pays, des blasons ont l’éléphant dans leurs armoiries.
43
« Rien qu’en France, une vingtaine d’exemples dans toutes les provinces, principalement en Bourgogne (Sens, Vézelay, Souvigny,
Perrecy les Forges) et dans l’ouest poitevin et saintongeais (Poitiers, Foussais, Aulnay) ».
44
La formule est de Pierre Granel, préface du livre de Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? Épiméthée, PUF, Paris, p. 10.
45
Sur la symbolique politique et religieuse de l’éléphant, visiter le site web :
membres.lycos.fr/elefantehiesel/armoiries/blason.htm.
Rappelons ici que les armoiries agencées en blason ont une fonction de distinction sociale,
celle de constituer les emblèmes d’une famille noble ou d’une collectivité, privée ou publique.
Sachant que les armoiries sont un langage
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, que veulent nous dire l’éléphant, le soleil et les palmiers,
aux quatre plans symbolique, théologique, iconographique et mythologique ?
Le noble couple de palmiers
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ou plutôt de cocotiers indique la fertilité de la terre ivoirienne
et la proximité de la côte, du littoral. Associer les cocotiers à la trompe d’ivoire de l’éléphant, c’est
donc instituer, sur le plan symbolique, le nom du pays : Côte d’Ivoire. Mais la présence des deux
cocotiers semble revêtir d’autres significations. Par exemple, leur tronc rectiligne renvoie à deux
idées. D’une part, à celle de droiture ou d’équité, l’une des nombreuses qualités symboliques de
l’éléphant, et, d’autre part, à celle d’équilibre ou de balance fragile reposant sur un délicat ruban,
qui fait songer à l’idée de justice, ordre également symbolisé par l’éléphant, comme nous le verrons
plus loin. Et il y a même plus ! En effet, le fait que toute tige de cocotier se termine par des feuilles
pennées, ou palmes, fait songer précisément aux palmes qui symbolisent la victoire ? Il saute aux
yeux la forte concordance de ce symbole de victoire non seulement avec l’éléphant qui représente,
lui aussi la victoire
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, mais aussi avec le thème de L’Abidjanaise insistant sur les légions remplies de
vaillance qui, victorieuses dans la paix, ont ramené la liberté. Cependant, ces deux palmiers qui encadrent
le blason au-dessus duquel naît un soleil brillant, radieux, semblable au « soleil de justice »
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de
l’Ancien Testament, n’est pas sans nous rappeler la cinquième vision du prophète Zacharie dans
laquelle précisément « deux oliviers », l’un à gauche et l’autre à droite, encadrent « le chandelier tout
en or avec à son sommet un réservoir d’huile et sept lampes à bec »
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, et qui, selon l’interprétation
des Écritures, repsentent « les deux hommes consacrés qui se tiennent devant le Seigneur de toute
la terre »
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. En ce sens particulier, les deux cocotiers divinisent l’Éphant et ont une fonction de
garde et de sauvegarde.
Par ailleurs, comment ignorer que le cocotier donne des fruits ? Sans doute y a-t-il dans
cette indication une référence à la production et à l’économie agricoles, ainsi qu’à l’abondance
accordée par la nature elle-même.
Quant au soleil levant, semblable au « soleil de justice », il traduit la promesse de l’espérance, le
jour à venir plein de promesse, le jour élu qui accompagne la naissance d’un État nouveau engagé
dans le travail de sa propre naissance et formation. Mais la position du soleil interpelle, car elle n’est
pas neutre. En effet, placé juste au-dessus de l’éléphant, ce soleil naissant devient pour lui comme
objet d’adoration ; ainsi les concepteurs du blason reprennent-ils une antique tradition dont parle
Pline l’Ancien (voir plus bas).
Bien évidemment, en l’espèce, l’éléphant est le symbole central et principal. Il ordonne la
disposition des symboles, le sens des armoiries et structure ainsi le blason ivoirien. Et pour mieux
saisir l’importance de l’éléphant, passons au tour ses principales qualités emblématiques.
Au degré symbolique, on ne lui dénombre pas moins de dix-huit qualités « morales » qui se
répartissent en six groupes, et dont étonnamment aucun ne relève des états affectifs élémentaires, mais
des états affectifs complexes, c’est-à-dire des facultés supérieures de l’esprit. En premier lieu, au point
de vue des aptitudes vitales, l’éléphant représente la force et la fertilité. En deuxième lieu, au niveau
du politique, il est symbole de royau, de maîtrise de soi, de tempérance, de circonspection et de justice. En
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S’agissant des armoiries ivoiriennes, L’Héraldique parle de palmiers.
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Le cocotier est un palmier des régions tropicales atteignant 25 mètres de haut.
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Voir plus bas ce qu’en dit Palakapya.
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Malachie, 3-2 : « le soleil de justice brillera, ses rayons vous rendront la santé ». Ce point peut être mis en rapport
avec la notion de ‘’Salut’’, qui est souhait de ‘’bonne santé’’, comme nous l’avons souligné plus haut.
50
Zacharie, 4-2,3.
51
Zacharie, 2-3, 11 et 14.
troisième lieu, sur le plan intellectuel, il demeure un symbole d’intelligence, de sagesse et de grande
mémoire
52
. En quatrième lieu, au point de vue de la sociabilité, il évoque la sollicitude et la solidarité. En
cinquième lieu, sur le plan éthique, il représente les qualités de réserve, de prudence, de constance, de
loyau, de courage, de respect, de chasteté
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et de bénignité
54
. En dernier lieu, au niveau religieux, il est
caractérisé par la faculté de pardon des offenses. Sous ce rapport, Cesare Ripa affirme que l’éléphant est
le plus religieux de tous les animaux. Et selon le dire de Pline l’Ancien, les iconologues rapportent que,
l’éléphant adore le soleil et les étoiles. [Ainsi], quand la nouvelle lune commence à paraître, il va se laver dans la
rivière la plus proche et semble invoquer le secours du ciel après s’être purifié. On saisit aisément ici le rapport
céleste de l’éléphant au soleil dans le blason ivoirien. Faut-il le rappeler, l’éléphant symbolise aussi
le premier sacrement, le baptême chrétien
55
. Au reste, dans le christianisme, l’éléphant a revêtu une
vraie dimension symbolico-religieuse. À Reims, par exemple, au pied de la cathédrale, il soutient
l’édifice, tout comme en Saône et Loire, dans l’église romane du prieuré de Saint Pierre et Saint
Benoît où, à plusieurs, ils portent tout le poids de la voûte. En revanche, à Paris, du haut de Notre-
Dame, il semble comme veiller sur la capitale. Il a aussi été comparé à Saint-Thomas l’incrédule
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ou à la Licorne qui échappe aux réalités terrestres.
L’éléphant occupe également une place importante dans la mythologie indoue. Ganesh, le
plus populaire des dieux, conduit les troupes divines. Sa tête fut tranchée par Shiva qui la remplaçât
par celle d’un éléphant. Ainsi devint-il le dieu-éléphant, jeune homme replet à quatre mains. Il est
le symbole de l’intelligence et de la réussite intellectuelle. Dans la religion védique, il est un animal
sacré et parmi les premiers êtres créés par le Démiurge
57
, au début du monde.
Par ailleurs, l’éléphant a été remarqué et s’est fait une grande réputation en raison de sa très
grande combativité, accrue à la vue du jus de raisin et du jus de mûres
58
. Ces « éléphants de guerre »
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se sont illustrés lors de l’expédition d’Antiocus et à la bataille de Beth-Zakaria
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où Éléazar
accomplit un haut fait d’arme en se sacrifiant pour tuer l’éléphant royal
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et décider ainsi de l’issue
de la guerre. Et qui donc ne se rappelle ici des éléphants d’Hannibal ? Arme militaire redoutable,
on comprend mieux la célèbre formule de Palakapya
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: Là où sont les éléphants se trouve la victoire. Cette
parole pourrait servir de devise à l’équipe nationale de football de Côte dIvoire, appelée Les
Éléphants ou la Séléphanteau. Mais est-elle toujours vraie ? Pour le Président Félix Houphouët-
Boigny, toute réponse ne pouvait être qu’affirmative. À dessein, on se souviendra d’une anecdote
fameuse, qui fait encore sourire plus d’un. Ainsi, lorsque Les Éléphants perdirent un match de
football capital, avec une pointe d’ironie qui emprunte à la formule du sage indien, il n’hésita pas à
dire que ce n’étaient pas Les Éléphants qui avaient joué mais bien des éléphanteaux. Certains on prit
au pied de la lettre l’ironie de Félix Houphouët-Boigny, alors qu’il évoquait une tradition ancienne,
celle de la science des éléphants, dont il semble avoir posséder une connaissance fine.
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Mark Shand : « Les éléphants, comme les femmes, n’oublient jamais leurs blessures ».
53
De tempérament frigide, il n’engendre qu’après absorption d’une racine de mandragore, en guise d’aphrodisiaque.
Sur les chasubles des prêtres, il protège de la luxure.
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Car il n’a pas de fiel ou bile.
55
En effet, la femelle met bas dans l’eau d’un étang, à côté duquel le mâle monte la garde pour écarter le Dragon (le
mal). De même, l’homme doit renaître dans l’eau du Baptême. ‘’Les hommes-éléphants eux trouvent l’eau !’’.
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Par le Psautier de Peterborough à Saint-Thomas l’incrédule.
57
« On raconte que le Créateur a fait le soleil à partir d’un œuf qu’il a cassé et a ensuite tiré des deux moitiés de la coquille 8 éléphants
mâles et 8 éléphants femelles ». L’éléphant est monté par les dieux Indra et Agni.
58
1 Maccabées 6, 34.
59
1 Maccabées 6, 30 ; 1 Maccabées 8, 6.
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1 Maccabées, 6, 34 - 37.
61
1 Maccabées, 6, 43 - 46.
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Sage dans l’Assam, au 5ème ou 6ème siècle avant JC, et considéré comme le fondateur de la science du gaja-shastra ou
science des éléphants.
Au total, pour ceux qui se rappellent ce que fut l’ancien protocole ivoirien, de l’importance
de ce proto-kollon
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d’État, il appert que, avec un certain art, Félix Houphouët-Boigny a su bien
mettre à profit l’ensemble des dix-huit qualités morales et titres armoriales de l’éléphant. Son
pouvoir d’État et sa personne ont su armorier
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ces différents symboles. Qui ne se souvient en effet
de ces qualificatifs qui empruntaient tant aux symboles de léléphant, notamment Houphouët-
Boigny, ‘’le Sage d’Afrique’’. Qui donc ne fut pas frappé par sa grande mémoire des faits s’étalant
sans le recours aux notes ? Mais également par son intelligence politique quasi instinctive, qui
s’affermit dans les vastes expériences des 4ème et 5ème Républiques françaises, avant de s’étendre au
monde. Il était réputé pratiquer la justice, abhorrant tant le désordre qu’il préférait encore l’injustice
toujours réparable, selon la belle formule de Goethe. Nous nous rappelons bien sa légendaire
tempérance. Quant à la royauté, elle empruntait beaucoup à la tradition baoulée et, de façon
profonde, imprégna l’organisation de l’État ivoirien. Houphouët, ‘’véritable yogi’’
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, maître de lui-
même, disait-on, par la pratique assidue du Yoga. Sa solidarité allait jusqu’au paiement des salaires
des fonctionnaires d’autres États africains ou l’octroi de ressources financières à maintes familles
ivoiriennes ou non, à de vieux compagnons de combats, de droite ou de gauche, qu’ils fussent
africains ou européens. Il pratiquait, avec constance, la loyauté vis-à-vis des autres. Sa réserve allait
jusqu’à la simplicité, et sa prudence personnelle dans la gestion des affaires de l’État était connue.
Il en ira de même pour sa circonspection. Qui ne se rappelle de la place du pardon, dans le système
Houphouët ? Il nous en souvient, toutes les grèves d’étudiants ou les contestations politiques se
terminaient nécessairement au Palais présidentiel où, avec une médiatisation fort bien orchestrée,
les responsables des troubles devaient alors demander le pardon pour leurs offenses, ce que
Houphouët-Boigny accordait, après les avoir morigénés. Ce pardon reposait sur la bénignité de
l’homme. Quant à sa sollicitude, elle était empreinte de délicatesse. Certes l’homme aimait les
femmes et passait pour grand séducteur. Cependant, le fait sexuel était organipar un véritable
protocole qui rapprochait de la chasteté, et se prolongeait avec l’interdiction de divorce pour ses
ministres. Certes, bien des points de sa biographie et de sa pratique politique peuvent faire l’objet
de critiques, d’un droit absolu d’inventaire. Toutefois, ici, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce qui est
pris en vue, c’est le mimétisme de l’éléphant affiché par Félix Houphouët-Boigny, qui n’était pas
que feinte.
Après les réflexions sur l’éléphant, venons-en au drapeau tricolore ivoirien : orange, blanc
et vert ? Quelle signification prêter à ces couleurs symboliques et quel rapport avec L’Abidjanaise et
les armoiries ? Deux lignes d’interprétation symbolique se dégagent et divergent. La première est
d’ordre géographique, dans la mesure où elle va chercher dans la végétation les matériaux
constitutifs du drapeau. Ainsi, le vert renverrait symboliquement à la forêt, et le orange, lui, ferait
référence à la savane, quand le blanc indiquerait l’unité du pays bien mise à mal depuis la partition, de
fait, du territoire. Bien étrangement, la coïncidence entre cette interprétation ‘’géographisante’’ et
la division du pays en deux zones, nord et sud, ou savane et forêt, ne laisse pas d’être frappante et
d’interroger. On le voit distinctement, la Rébellion et tous leurs soutiens déclarés ont fonleur
vision de la partition du territoire sur cette conception ‘’géographisante’’. Mais, bien que partiale,
partielle et parcellaire, cette ligne d’interprétation ne doit pas être rejetée. Elle doit même être
intégrée dans la seconde interprétation qui est d’ordre politico-religieux. Selon celle-ci, le vert dirait
« l’espoir ». Mais nuance ! En vérité, plutôt qu’à « l’espoir », le vert renvoie effectivement à l’espérance,
thématique magnifiée par L’Abidjanaise et qui dit tout à fait autre chose. Quant au orange, il
symboliserait le combat politique non violent, autrement dit la « vaillance » déclinée par
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Sur l’importance du protocole ou proto-kollon du premier Président ivoirien, lire P. F. Tavares, avant-propos de Sur
la Crise ivoirienne, Considérations éparses.
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Armorier signifie ‘’orner d’armoiries’’ ou bien ‘’être fier de son blason’’.
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La propagande officielle et radiotrottoir assuraient qu’il pouvait rester toute une nuit, sur un pied, l’autre pied autour
de son cou, et en état de grande concentration.
L’Abidjanaise, qui, du moins inclinons-nous à le penser, s’inspire directement d’une pensée érudite
et avertie : la sagesse a plus de pouvoir que les armes
66
.
Cette seconde ligne d’interprétation dirait symboliquement vaillance - unité - espérance. En ce
sens, elle s’accorde totalement à l’hymne national, à la devise républicaine et au blason ivoirien.
Au fond, et en résumé, un remarquable accord se constitue entre les hautes paroles de
L’Abidjanaise, le triptyque de la devise de la République, le drapeau tricolore ivoirien et les armoiries
du blason de l’État. Mais incontestablement, des quatre enseignes de l’État, L’Abidjanaise est le plus
haut. Et alors que la Crise s’est emparée de la Côte d’Ivoire, le temps est enfin arrivé d’en méditer
les vastes paroles.
Dussions-nous le redire, Texte de tous les textes ivoiriens, L’Abidjanaise devrait être en son
entièreté placée en préambule de la Constitution. Car, telle est sa véritable place, comme parole qui
doit, plus que la Déclaration universelle des Droits de l’homme, inspirer et rendre vivant l’ensemble
des Titres et articles qui forment le Texte fondamental.
Au fond et peut-être même est-ce le fait principal de nos méditations, L’Abidjanaise est de
dimension nationnelle.
Épinay, le 22 septembre 2006
Dr Pierre Franklin Tavares
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Proverbes, 9, 18.