Gilets jaunes, une colère justifiée

Par Pierre Franklin Tavares|26 novembre 2018|Actualités, France

photo D.RPour Aristote, il y a des colères justes. Le mouvement des Gilets jaunes est l’expression (cristallisation) idéologique de la Crise du pouvoir d’achat, qui repose sur une équation simple : trop de Françaises et de Français vivent, connaissent et subissent l’inversion du rapport entre « revenus mensuels » et « reste à vivre ».

Qu’est-ce que le « reste à vivre » ? C’est le revenu (argent) qui reste (disponible) à un ménage, après qu’il ait effectué tous ses achats (nourriture, consommation) et réglé toutes ses dépenses (factures) mensuelles incompressibles : loyer, services bancaires, transports, consommation, impôts, etc.

Jusqu’ici, pour un grand nombre de Français, les « revenus mensuels » étaient supérieurs au « reste à vivre ». Leur situation était ‘’acceptable’’. Désormais, ils n’ont même plus de « reste à vivre ». Car leurs revenus ne suffisent plus à ‘’vivre’’. Ils sont nombreux, ceux pour qui les Jours de soudure s’ouvrent dès le 15 du mois et s’étendent jusqu’au prochain salaire en fin de mois. Un cycle infernal.

En effet, force est de constater, les revenus mensuels cumulés (salaires et aides sociales) d’un grand nombre de foyers ne permettent plus de couvrir les dépenses mensuelles. Comment ? Le phénomène est simple, sauf pour qui ne veut pas voir comme savent le faire les grands Experts de la République, Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Bruno le Maire en tête. Mais, et c’est l’essentiel, une forte majorité de Français sont les victimes sociales des ponctions qui amenuisent mensuellement la structure de leur pouvoir d’achat : les Banques, avec leurs pénalités et agios dus aux découverts, rognent 7% à 10% des revenus de leurs clients les plus fragiles ; les Offices HLM et les Promoteurs immobiliers privés pratiquent des niveaux de loyers et de charges qui s’élèvent de 45% à 60% des revenus des locataires ou propriétaires ; les Supermarchés absorbent près de 20% des revenus des consommateurs ; EDG – GDF, fournisseurs d’électricité et de gaz, prennent 7% des revenus ; la Téléphonie (mobile, internet), désormais indispensable, prélève 3% des revenus ; les Transports en commun (train, bus, etc.) coûtent en moyenne 5% des revenus ; les Maisons de crédit (revolving) soustraient jusqu’à 13% des revenus ; l’État (impôts sur le revenu, TVA, taxes diverses), les Départements, les Régions et les Communes (taxes d’habitation) prélèvent 15% des revenus ; les prix des produits pétroliers (essence, diesel, fuel, etc.), en augmentation constante, équivaut à 15% des revenus ; les assurances (maison, voiture, scolaire, mutuelles, etc.) atteignent 12% des ressources.

Cette structure du pouvoir d’achat n’intègre pas certains postes de dépenses : repas au travail, achat de vêtements, et… loisirs, etc. Mais est-il besoin d’être grand clerc pour voir d’emblée que les ménages dont les revenus mensuels s’élèvent à 1.153,82 € (smic mensuel net) ont des ressources inférieures de 21% aux dépenses mensuelles incompressibles ? Ces ménages ont donc, en permanence, la tête sous l’eau. C’est le ressort principal de la colère sociale en cours. Pour un ménage sans enfant, deux Smic nets suffisent à peine à couvrir les dépenses mensuelles.

Sous ce rapport, outre les 9 millions de pauvres, près de 3 millions de Français sont en situation de précarité. Et, comment ne pas comprendre qu’ils redoutent de basculer dans la pauvreté, en dépit du fait d’occuper un emploi ? Les Gilets jaunes expriment cette angoisse, pour eux-mêmes et, surtout, pour leurs enfants. Malheur à qui ne veut pas le voir et le comprendre !

Mais, plus significatif encore, cette grave crise du pouvoir d’achat vient se greffer sur d’autres crises, non moins importantes. En effet, entre-temps, les gouvernants successifs ont édulcoré l’identité historique des Français, au nom de la République devenue amorphe et fort dépendante de l’Union Européenne qui absorbe les pouvoirs essentiels qui organisent la nation. Ces mêmes gouvernants ont lentement dissous la famille. « Ils » ont continument affaibli les syndicats (1997 – 2001), avant de les vider (2002 – 2010) et de les neutraliser (Lois El Komry et du nouveau Code du travail). La société civile s’est donc affaissée. Le savoir-vivre français s’est effondré. La langue française est silencieusement démolie. L’intelligentsia ne pense plus et, avec facilité, a été mise à l’écart. Les médias ont baissé en qualité. Les photos du Président choquent. Les quartiers de banlieue s’éloignent de la République. L’État, depuis l’affaire d’État Benalla, a perdu son Protocole et sa force.

En 1848, lors de la Révolution, la bourgeoisie financière française (portée à la spéculation), arrogante et avide, a été défaite par le prolétariat et la bourgeoisie industrielle. En 2017, la Finance française (Corbeille et CAC 40) a vu et a cru saisir en Emmanuel Macron l’occasion de sa grande revanche historique. Elle s’est donc d’abord évertuée à évincer François Fillon, le représentant de la bourgeoise industrielle et familiale. Car, comme en 1848, il fallait à la bourgeoisie financière un homme au « sale » caractère susceptible de porter son projet. Hegel l’a dit et Marx lui a emprunté sa formule : « l’histoire ne se répète pas, ou alors[seulement] comme une farce ». Nous y sommes !

Rappelons que pour Platon, et Cabanis et Schopenhauer seront de son avis, le caractère est lié aux viscères, d’où sa dimension instinctive. Selon Aristote, le caractère est la partie irrationnelle de l’âme. C’est pourquoi, ils ont admis, qu’il est si difficile de changer ou de modifier le caractère d’un individu. Emmanuel Macron, dussions-nous le répéter, est victime de son propre caractère, qui s’articule autour de trois défauts : le mépris, c’est-à-dire le gouvernement par Ordonnance (Assemblée nationale) ; la condescendance, à savoir la volonté de s’adresser aux plus faibles avec désinvolture ; et l’arrogance, qui consiste à se croire (sans raison) meilleur que cinq de ses sept prédécesseurs.

Son modèle caché, c’est François Guizot, président du Conseil en 1847 et balayé par la Révolution de 1848. Un exemple dont chacun doit se rappeler. À cette époque, pour être électeur, un citoyen devait avoir des revenus conséquents : suffrage censitaire. Lorsque le plus grand nombre réclamera le suffrage universel (droit de vote pour tous), F. Guizot rétorquera : « Enrichissez-vous, vous deviendrez électeurs ».

Emmanuel Macron partage le même défaut. Son caractère l’empêche de bien penser et de donner considération à autrui. Excipons de quelques ‘’formules macroniennes’’ ce qui est dit : à un jeune chômeur qui lui faisait part de sa difficulté à trouver un emploi, il réplique : « Je traverse la rue et je vous trouve un emploi ». Concernant le coût des aides sociales, il fait une vidéo qui diffuse ce mot : « on dépense un pognon de dingue » ! En 2016, Ministre de François Hollande, il ajuste un jeune portant un tee-shirt avec cette parole : « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Chacun se souvient de ses mots sur les employées de l’usine Gad : « les femmes salariées de chez Gad sont pour beaucoup illettrées » (17 septembre 2014). Et son affligeant mot prononcé à Copenhague sur les « Gaulois réfractaires » aux réformes, alors que le Danemark est le pays où l’écart de revenus entre les riches et les pauvres est le plus faible d’Europe ? Si les Gaulois étaient à la place des Danois, ils n’auraient aucune raison de refuser ses réformes. Quelle morgue dans cette autre parole affligeante sur les paresseux en France : « Je ne cèderai rien aux fainéants » (8 septembre 2017).

Avec Emmanuel Macron, héraut de la bourgeoisie financière, il n’y en a que pour les grands patrons, les rentiers, les détenteurs de capitaux (désormais moins taxés que le patrimoine), les actionnaires, les banquiers et les riches. Suppression de l’ISF ! En vérité, il n’est pas que le « Président des très riches », comme l’accusera celui-là même qui l’a fabriqué. Au vrai, il est le représentant d’une classe sociale : la bourgeoisie financière, mais l’un de ses représentants les moins intelligents et qui ne comprend presque rien à la France et aux Français.

Il entendait parachever, avec facilité, la destruction du programme du Conseil National de la Résistance (1946), pour continuer la destruction méthodique entamée par François Hollande et ses prétendus ‘’Socialistes’’ (PS et PRG). Les Gilets jaunes viennent de donner un coup d’arrêt à cette folle entreprise de démolition sociale.

Le mouvement des Gilets jaunes est donc la première grande résistance nationale à ce que nous avons appelé La conspiration des médiocres, titre d’un de nos ouvrages. Car si la révolte des « bonnets rouges » était limitée à une région, la Bretagne, et au coût du transport des produits agro-alimentaires (péage), les « gilets jaunes », par leur juste colère, ont généralisé la protestation à tout le territoire.

En 1848, pour la première fois en France, la classe ouvrière devenait indépendante. En 2018, sous le « leadership » des Gilets jaunes, la société civile s’affiche comme autonome. Une étincelle, et une nouvelle Révolution aura lieu. Macron, c’est le nouveau François Guizot.
En tous les cas, dans leurs ‘’brillantes’’ (stupides) analyses, les Experts hollando-macronistes ont oublié que, dès janvier 2019, c’est-à-dire dans moins de 45 jours, il y aura la mise en vigueur du prélèvement des impôts à la source, qui accentuera immédiatement l’actuelle crise du pouvoir d’achat. Comment le Gouvernement élaborera-t-il son budget 2019 ? Car si l’intolérable augmentation du prix des carburants (diesel : 50% entre 2016 – 2018) cause tant de remous, et n’est peut-être que la première secousse d‘une crise plus profonde, que diront les Français à partir de janvier 2019 quand ils verront leurs fiches de paie ? Aussi, ce à quoi nous assistons actuellement doit-il être pensé à partir de la fiche de paie de 2019 qui sera amputée de 10% à 15%. Nous sommes sans doute à quelques semaines de l’aggravation de la crise du pouvoir d’achat.

Par conséquent, il ne sert à rien, parce qu’il est futile de rapporter la « question écologique » à la crise du pouvoir d’achat. Il n’y a pas ni ne peut y avoir de lien direct ou indirect entre eux. Ce n’est pas tant un leurre qu’Emmanuel Macron, Édouard Philippe et François de Rugy tentent de faire admettre, mais une erreur d’analyse qui est voué à l’échec. La ficelle est trop grosse.

Au total, l’effet Macron s’est estompé. Aux niveaux européen et international, il a perdu la main. En France, il est la première victime de la crise du pouvoir d’achat. Le Président, pilier des institutions publiques, ressort très amoindri de toutes les crises mentionnées.

En tous les cas, les Gilets jaunes, à l’origine, ce sont évidemment deux inconnus désormais illustres : Priscilla Ludosky et Éric Drouet qui, en six mois, sont parvenus, sans moyens financiers et organisation politique, à faire ce que Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise), Marine Le Pen (Rassemblement National) et Laurent Wauquiez (Les Républicains) et les syndicats ne parvenaient pas à faire : opposer aux ‘’dérives macronistes et philippiques’’ une contre-force. Dans son 18 Brumaire, Marx avait raison de saluer le génie politique du peuple français.

Sur l’île de la Réunion, département français, où la contradiction entre les « revenus mensuels » et le « reste à vivre » est la plus vive, où la moitié des Français vit sous le seuil de pauvreté et où se concentrent les riches, la population est en phase quasi-insurrectionnelle.

Mais enfin, pourquoi les élites politiques ne lisent-elles pas les Leçons sur la philosophie de l‘histoire, dans lesquelles Hegel affirme des Français qu’ils ont « le bonnet près de la tête » ? Il songeait au bonnet phrygien, pour souligner le caractère républicain, c’est-à-dire citoyen des Français.

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