Madère-sur-vigne

Par Pierre Franklin Tavares|10 janvier 2016|Actualités

Je voudrais ici, par le souvenir poétique, saluer mon père avec Madère-sur-Vigne, l’un de deux poèmes que je lui ai consacrés, et extrait de mon recueil Le Livre des Sodades. Ce 10 janvier 2016, il aurait eu 96 ans. Il fut, tour à tour, Maître bottier, Armateur, Grand planteur (tabac) et industriel du cuir.

En bon disciple d’Aristote et de Montesquieu, il a toujours cru que l’éducation scolaire était un axe essentiel de la vie qui formait de bons citoyens.

Pour accompagner la lecture et la méditation de Madère-sur-Vigne, j’ai choisi deux supports. Le premier est un ensemble de photographies qui reprennent quelques phases essentielles de sa vie, centrée autour du travail, de la famille et de l’engagement politique. C’est de mon père, Gonçalo Amarante Tavares, que je tiens l’endurance dans la pensée.  Le second support est une chanson, Brada Maria (Cri ou Prière à Marie), réputée être la première Morna officielle où domine la figure de Marie, « la plus belle fleur de la poésie », pour reprendre le mot de Heine. C’est le clin d’œil filial à ma mère Peimpa.

 

MADÈRE-SUR-VIGNE
À mon père, et pour son vin

Ô les Napées, belles et souriantes !
Sur les maigres flancs insulaires des coteaux pentus et escarpés,
Où dorment paisiblement en longueur les vents d’est,
Alors que des pluies mesurées aiment à s’abandonner,
Un terroir magnifique s’émeut de générosité.
Là en effet, une pourpre saison de grappes,
Réclame vendanges.

Alors, en cette belle saison, lourds de paresse divine,
Prenez et gouttez donc ces baies sucrées de Lyéus,
Des hottes et des dos vont et viennent dodelinant.
Ils accomplissent les rites de l’enfant éternel
Ô Euïos, frère du Christ et d’Hercule.

Puis s’ouvre le ressat, après les lumières de septembre,
Où sont présentes toutes les divinités rieuses et joyeuses,
Également celles qui inspirent aux poèmes de vin
Beauté, attrait et souvenir ?
Derrière les sarments dépouillés,
Se tiennent des Satyres qui observent, embusqués.
Font-ils de nouveau l’antique escale, en route pour l’Inde ?
L’empire oriental de Bacchus est-il de nouveau à préserver ?
Là-haut, thyrses et tambourins.
Proche,
Un cortège sillonne le Ciel !
Silène,
Des Bacchantes en un ululement
Et Dionysos-Élélée,
Dive coupe,
Lierres,
Et pampres en couronnes.

Pareils à Prométhée, ils répandent sur Terre
Les hermétismes de la vinification.

O Madère de Funchal !
Je revois tes cuvaisons enthousiastes avec leurs chapeaux de marc.
Et dans la recherche patiente des équilibres énigmatiques,
Actifs, semblables aux divinités anciennes, vont les InVisibles,
Ces levures qui relancent le moût, le glycérol qui alourdit,
Le soufre qui protège et coud une robe intense,
Le tanin qui, au mystère, donne une structure rationnelle,
Et tous s’harmonisent en un sombre secret de lumière sucrée
Qui exhale une riche palette d’arômes.

Ô Madère de Funchal, île ardente.
Dans le souvenir de tes volcans endormis,
Tes fruits fermentent et ton nom redit le Bois.
Et dans les fûts de madeira, comparables à ceux du Tronçais,
Que d’habiles tonneliers ont conçus,
Non loin de la vinée, la récolte de Lénéus,
Entre densité et brillance,
Repose enfin apaisée en vin,
Au pied du cantique isaïen de la vigne.

Mes yeux ont apprécié les robes sublimes,
Combien de vents doux ont levé à mon nez la multitude de bouquets
Qui enivrent ? Et combien mon palais a vécu la joie des goûts délicats ?
Mais par-delà les sens qui codifient la dégustation profane,
Tout vin n’est accompli que par le Mythe et dans le Souvenir.

Alors, je revois encore la tablée divine, ce banquet des élus
Où se tiennent Ampélos, Staphylos, Dionysos,
Et Hercule, et Œnée et mon père,
Avec leur coupe de cristal.
Et tous boivent, non pas en mémoire,
Mais en souvenir du plus noble d’entre eux : le Christ.

 

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