Lettre au Président de la République François Hollande pour le maintien de l’Institut français du Cap-Vert

Par Pierre Franklin Tavares|25 avril 2014|Culture, Monde

Monsieur le Président de la République,

Une immense clameur nous parvient : la France voudrait fermer l’Institut Français du Cap- Vert ! Cette intention, qui n’est pas fondée en raison, oblige à justifier le maintien de cet établissement public. Mieux, reprenant le mot de Henri IV, je voudrais « ramentevoir », remettre en mémoire, des faits qui seront autant d’arguments visant à le rendre « perdurable ».

Tout d’abord, comment ne pas l’indiquer, il n’est nul pays au monde où l’on donne « Bossuet », « Napoléon » ou « Voltaire » comme prénoms. Excepté aux Îles du Cap-Vert, où persiste cet étrange legs patronymique qui traduit l’influence intellectuelle, spirituelle et politique que le prestige de la France des Lumières exerce encore, en plein cœur de l’Atlantique. Et il n’est pas jusqu’à Amilcar Cabral, héros de l’indépendance, dont le prénom pourrait tenir de l’audience littéraire du Salammbô de Gustave Flaubert et de la vive controverse soulevée par Sainte-Beuve lors de cette parution.

Ensuite, au XXe siècle, un cycle dévastateur de famines poussera nombre de Capverdiens à émigrer vers Dakar, capitale de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.), Abidjan et d’autres villes coloniales françaises du continent noir, puis aux Amériques, en France et dans ses territoires d’Outre-mer. Dans ces contrées se sont constituées des communautés capverdiano-francophones qui forment des segments essentiels de la diaspora capverdienne et des propagateurs zélés de la langue française. Au reste, le français parlé au Cap-Vert (enseigné dès l’école primaire) est l’une des plus ajustées d’Afrique. Et les élites défendent, comme un patrimoine précieux, le français dit de « bon usage ».

Un fait atteste d’un antique lien culturel (poético-musical), entre la France et le Cap- Vert : la reconnaissance mondiale de Cesária Evora, à partir de la France. « La Diva aux pieds nus », épigone des trois Hespérides musiciennes (Euripide), à la voix si douce (Apollonius de Rhodes) et charmante (Pierre Commelin), doit son succès planétaire, non au Portugal ou à un autre pays, mais à la France, parce que son répertoire centré autour du chemin de loin (caminho longi), dimension primordiale de la Sodade, reprend les thèmes majeurs de l’amour courtois des grands troubadours français, Bernard de Ventadour et Jaufré Rudel, qui ont chanté l’Amor di logni (l’Amour de loin). Ainsi, et à son propre insu, par la Sodade, elle a réactivé une « structure endormie » de la culture française qui, en retour, lui a assuré un triomphe universel. C’est l’exemple emblématique d’une subtile dialectique culturelle.

Faut-il rappeler que le Cap-Vert doit la création de sa capitale actuelle, Praia, à un corsaire français, Jacques Cassard, qui, sur instruction du roi Louis XIV alors en rupture diplomatique et en guerre avec le Portugal, détruisit la première capitale, Ribeira Grande, en 1712. Et il ruina et désola Praia qui, entre 1724 et 1770, deviendra la nouvelle capitale. Dans le registre des batailles françaises, plus d’un demi-siècle plus tard, le 16 avril 1781, dans la baie de Praia (Porto Praya), Pierre André de Suffren accomplira un haut fait d’armes stratégique, contre les Anglais, protégeant le cap de Bonne-Espérance et assurant à la France la route de l’Île Maurice.

Dans son ouvrage de combat anti-esclavagiste, De la littérature des Nègres (1808), l’abbé Grégoire citera plusieurs fois le Cap-Vert comme modèle d’émancipation.

L’ensemble des faits rappelés repose sur de vieux liens historiques entre la France et le Cap- Vert, qu’un célèbre ambassadeur français, fort avisé, M. André Barbe, a su méthodiquement retracer en les faisant remonter au début du XVIe siècle. En réalité, par la Sodade, ces liens s’enracinent dans le Moyen-Âge français. Ils précèdent donc de loin tout ce qui, par l’esclavage, la traite négrière et la colonisation, donnera la Francophonie ou ce que, après Fernand Braudel, on peut appeler la France hors de France.

Ainsi, c’est à l’aune du « temps long », si cher à cet historien de renom, que les deux pays, la France et le Cap-Vert, entretiennent des liens complexes et subtils, desquels il appert une antériorité historique et une exception linguistique que rien, pas même les nécessaires restrictions budgétaires de l’État français, ne devrait obérer ou venir détruire. Et ce d’autant que l’Institut Français du Cap-Vert, tel un phare francophone en Lusophonie, y promeut le rayonnement de la langue française.

En visant à la fermeture de l’Institut Français du Cap-Vert, la France n’affaiblit-elle pas de son propre chef une enclave francophone ? Ne laissez pas s’éteindre cet établissement, jalon lumineux.

Dans l’espoir que vous accordiez quelque intérêt à cette lettre,

Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de ma très haute et parfaite considération.

Pierre Franklin Tavares

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